vendredi 18 février 2011

Tunis: prètre égorgé, bordel fermé, ambassadeur nerveux


Samedi, un temps maussade sur Tunis, et une situation toujours marquée par un gouvernement flottant, une situation économique qui s'aggrave et une population, étonnamment calme, où le désir de parler et de comprendre est immense. Les trois signatures autour de la régente de carthage, devenue une espèce d'objet culte, ont réunies entre 150 et 200 personnes. Etonnamment, très peu de tunisiens croient en mes informations sur le coma de Ben Ali. 

En effet, le pouvoir continue à nier l'hospitalisation de l'ex Président. La télévision nationale qui m'avait invité pour deux heures jeudi après midi a soudainement décommandé l'émission. La décision a été apparemment prise quelques heures après l'annonce sur le blog de l'hospitalisation de Ben Ali.

Dix, vingt personnes m'interrogent dans la rue: "Mais Ben Ali est vraiment dans le coma? C'est vrai?" Après avoir vécu entre intox et rumeur depuis vingt trois ans et même, avant le 7 novembre 1987, sous le rêgne précédent de Bourguiba, les Tunisiens, avides d'informations, restent sur leurs gardes et ne croient pas en grand monde. La disparition de l'ancien président laverait pourtant les fantasmes et les peurs qui demeurent sur son éventuel retour. 

A tout moment, on soupçonne le formidable appareil sécuritaire de Ben Ali d'avoir encore quelques affidés qui cherchent à provoquer le chaos. Hier soir vendredi, je reçois un coup de fil de l'évèque de Tunis, Mgr Haroun. Le blog est désormais connu. Grace aux révélations sur le coma de Ben Ali, 50000 visiteurs se sont connectées avant hier et 15000 hier. "Un de mes prètres, le dit-il, le père Marek vient d'être assassiné. On l'a découvert le crane fracassé et égorgé". Quatre jours auparavant, le religieux avait reçu ce message étrange: "O Juif, nous savons qui tu es, tu as beaucoup d'argent". Et la missive était signée d'une croix gammée.

La semaine précédente des pseudos salafistes avaient manifesté violemment devant la synagogue de Tunis. A Gabes, d'après l'ambassadeur canadien que l' évèque de Tunis avait eu au téléphone, des injures antisémites ont été professées également.

Des provocations d'ancien benalistes? Ou la résurgence d'un antisémitisme dans la frange radicale de l'islamisme tunisien? Personne ne sait vraiment....L'Evèque est sous le choc: "Ici, tous ceux qui ne sont pas musulmans sont considérés comme juifs. Nous, chrétiens, on ne compte pas".

Toujours hier vendredi, au coeur de la Médina, des islamistes sont venus réclamer, en sortant de la mosquée, la fermeture ....du vieux bordel, qui, dans une rue adjacente, a pignon sur rue depuis des lustres. Ce sont des militants de l'UGTT, le syndicat historique tunisien, qui sont venus défendre ces dames. C'es un peu plus qu'un incident et un peu moins qu'un affrontement, un signe parmi d'autres que la société tunisienne, sans gouvernail, flotte un peu, tout en gardant un calme remarquable. 

Un peu de parano s'installe. Comment faire autrement aaprès vingt trois ans de régime ultra sécuritaire? Au restaurant "l'Orient", face au vieux journal de Tunis, "la Presse", au coeur de Tunis, un tunisien un peu allumé m'aborde à l'heure du déjeuner: "Alors, il parait que vous allez donner vos droits d'auteur à la famille du jeune qui s'est immolé à Carthage". Et d'ajouter, agressif, avant de s'éloigner: "C'est bien normal, vous n'allez pas vous enrichir sur notre dos".  Et les autres clients du restaurant de me rassurer: "Ne vous inquiétez pas, c'est surement un ancien indic du RCD et de Ben Ali". A moins que le bonhomme aie juste abusé sur l'excellent vin servi dans ce charmant établissement. 

On sent partout de la nervosité. Vendredi matin, la conférence de presse du nouvel Ambassadeur français, à peine débarqué d'Irak,  s'est mal passée. Les journalistes tunisiens l'ont interrogé  sur la méfiance que leur inspire désormais la France et mis en cause Nicolas Sarkozy. Le diplomate a sur réagi, en déclarant que ces remarques étaient insupportables.

La jeune et charmante journaliste qui a interrogé le ministre, lorsque je la croise à la radio "Mosaique FM", qui souhaitait me faire parler de "la Régente de Carthage", est toute retournée encore. "C'est normal de l'interroger sur l'attitude de la France, cela nous pose un sacré problème". Encore que les journalistes ce cette excellente radio (qui, il y a trois semaines appartenait au frère ainé de Leila) savent séparer le bon grain des MAM et consorts: "Heureusement vous étiez quelques uns, Florence Aubenas à Libération, Jean Pierre Tuquoi au Monde, et plus récemment, avec la création des sites, Bakchich, Rue 89 et Mediapart à nous défendre". Ce qui est juste,  même si les journalistes français qui suivaient le dossier tunisien tenaient dans une cabine téléphonique.  

Depuis hier, les blogs à Tunis ont pris l'ambassadeur de france pour cible. Un peu comme s'ils se défoulaient sur l'immense déception que l'aveuglement français a laissé ici Et tant pis si cela tombe sur un diplomate qui vient d'arriver il y a deux jours et non sur son prédécesseur. Lequel prédécesseur était connu pour son gout pour le karaoké, son amitié pour Jean David Levitte, le conseiller élyséen et sa proximité avec le Palais de Carthage, et même avec le pire de l'ancien régime. A savoir le "neveu" préféré et voleur de yachts, Imed Trabelsi, qui avait son rond de serviette à l'ambassade de France. Tout comme Pierre Pasqua, le fils de Charles, condamné en France mais reçu,  sous l'ancien régime benaliste,  à la résidence  de l'ambassadeur de l'ambassadeur. 

La pente sera dure à remonter pour la France. Combien de tunisiens désormais, dans la rue, saluent le rôle des Américains et s'en prennent à notre gouvernement. Jusqu'à évoquer, comme hier pendant la dédicace de "la Régente de Carthage" dans une superbe librairie du centre commercial de Lamarsa, les relents de colonialisme qui expliqueraient les réactions des officiels français. On se serait cru en Algérie....

Quel gachis! Et quel fiasco!



NB "Le Monde" journal (pas le site, toujours réactif et excellent) aura été le seul media français à réussir la performance de ne pas citer mon blog dans les révélations sur le coma de Ben Ali. Tout comme ils ne citaient jamais le site Bakchich que nous avions créé et qui, hélas, a été mis en liquidation. 
Il ne faut pas leur en vouloir. Les vieux "enturbannés" du Monde, comme on dit à Tunis, ne savent pas, pour la plupart, que la blogosphère existe.