dimanche 27 mars 2011

Qui torturait qui?

Samedi soir, un coup de téléphone de Leila Kallel, la fille de l'ancien ministre de l'Intérieur de Ben Ali entre 1990 et 1995, au moment où la répression contre les islamistes était la plus féroce et où la torture était monnaie courante. En fait, au moment où Ben Ali quitte le pouvoir, le 14 janvier dernier, Kallel est président de la chambre haute, l'équivalent de notre Sénat, une assemblée à la botte du Président. On voit ce dignitaire benaliste à la droite du Premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghannouchi. Lequel Ghannouchi, face aux télés, annonce la fuite de son patron. 

Ghannouchi et Kallel, soit une fâcheuse brochette de "nouveaux" dirigeants pour la révolution en marche, alors que le régime défunt a fait tirer sur la foule avec le soutien au moins implicite de ces ex dignitaires.

Depuis, Mohamed Ghannouchi a démissionné et Kallel est en prison, accusé de détournements. Mais cette inculpation de l'ancien ministre de l'Intérieur en cache une autre. Abdallah Kallel est présenté un peu partout comme un des responsables de la torture sous le régime de Ben Ali, surtout durant les années 9O qui voient le régime massacrer les islamistes. En 2001, une plainte est même déposée en Suisse par un détenu qui fut torturé en 1992, Naït Laman.

Rappelons que cette répression sauvage était menée avec l'accord de la gauche tunisienne ( à l'exception notable de quelques résistant(e)s comme Rhadia Nasraoui, Sihem Bensedrine ou l'avocate de Bizerte, maitre Raja Dali) et de nos élites politico médiatiques. "Mieux vaut Ben Ali que Ben Laden", disait le sympathique Denis Jeambar, patron alors de l'Express.

Revenons à Leila Kallel et prenons la peine de l'écouter. "Mon père était responsable de la sécurité publique entre 1990 et 1995, mais c'est Ben Ali lui même qui dirigeait les opérations contre le mouvement islamsite Nahda". Ce qui en partie vrai. On sait qu'à l'époque, le secrétaire d'Etat à la sûreté, l'ignoble Ganzoui, un protégé de Leila, était l'homme clé de la lutte anti islamistes. C'est lui qui arrètait, emprisonnait, assistait aux séances de torture contre les islamistes.
Quel rôle exact a joué le ministre Kallel? Jusqu'à quel point les basses oeuvres lui échappaient? La question mérite d'être posée, si la Tunisie veut aujourd'hui faire l'utile travail de mémoire sur ces années noires. Après tout, Ghannouchi qui a été Premier ministre après le départ de Ben Ali avait été lui aussi chef de gouvernement de l'ancien régime et avait soutenu, au moins implicitement, la répression contre les islamistes. 

A écouter Leila, son père n'aurait trouvé aucun journal prêt à lui donner la parole. Toujours selon elle, Abdallah Kallel aurait quelques ennemis irréductibles au sein du sérail, qui alimenteraient la campagne contre lui, notamment Kamel Eltaief, le meilleur ami de Ben Ali jusqu'au mariage avec Leila en 1992. Or, c'est vrai, l'ami Kamel a repris du service aujourd'hui, conseille l'actuel Premier ministe et balance contre ses adversaires auprès de la presse, notamment à Jeune Afrique.
Lorsque la semaine dernière à Tunis, je suis reçu par Eltaief dans les locaux de son entreprise, dans la banlieue de Tunis, il me tend immédiatement Jeune Afrique. 
-"Il faut que tu lises le récit de la fuite de Ben Ali, tout est vrai dans ce qu'ils racontent"..
-"Comment, lui dis je, faire confiance à un journal qui a rampé devant Ben Ali? Jeune Afrique est un torchon, tu le sais"
-"Mais non, c'est un journal fiable".

Qu' Eltaief, en disgrâce après 1992, alimente dans Jeune Afrique les campagnes contre l'ancien ministre de l'Intérieur qui lui a survécu au mariage avec Leila, semble assez plausible. Dans les règlements de compte qui se jouent aujourd'hui à Tunis, il faut démèler le vrai du faux. 

Rien ne serait pire que d'accabler quelques victimes expiatoires pendant que d'autres, qui ont trempé dans le régime au moins autant, se referaient une virginité à bon compte.