dimanche 20 mars 2011

Un dimanche chez Delanoé à Bizerte

"Vous avez participé à la Révolution tunisienne, sans même que vous le sachiez". Une fois encore, le livre, écrit en 2009 avec Catherine Graciet, "la Régente de Carthage", me vaut un compliment en partie excessif, mais qui me va droit au coeur. D''autant que  mon interlocuteur, ce dimanche à Bizerte, Ali Bensellem, est un triple héros des luttes en Tunisie et militant de toujours des droits de l'homme. Emprisonné une première fois pendant la guerre d'Indépendance, Ali est à nouveau détenu du 20 décembre 1962 au premier juin 1973 par Bourguiba, après avoir participé à une tentative de coup d'Etat. Ben Ali, dont les sbires avaient simulé un enlèvement avant de l'abandonner en pleine campagne, ne l'a guère ménagé non plus. 

La veille samedi, un digne professeur d'université aveugle  me confie, en me croisant, à l'hôtel qu'il a traduit "la Régente" en braille!!!!"Je vais à Paris mardi participer à un jury de thèse, voyons nous".

Après tout, Catherine Graciet et moi n'avons fait que notre travail de journaliste. Mais apparemment, l'existence de ce livre fut vécue par beaucoup de tunisiens comme le signe qu'ailleurs, certains savaient. Certains avaient conscience  du cauchemar qu'était devenu la vie de beaucoup de tunisiens qui refusaient l'arbitraire.

Dans un café du vieux port de Bizerte, le vieux résistant, Ali Bensellem, a gardé toute sa capacité d'indignation. Et il dénonce l'absence de tout représentant de sa région dans le "haut comité de sauvegarde de la Révolution", une assemblée auto constituée et qui a été récemment adoubée par le gouvernement actuel "Il ne faut pas oublier les jeunes, les régions pauvres"
.
Et de s'indigner qu'un indic de police bien connu de la population de Bizerte ait lui rejoint le haut comité. Sous prétexte qui'il vient de créer, avec quelques comparses, un
parti politique "Nous ne devons pas relâcher la pression", expliqe-t-il avec un sourire.  

Ali est aussi un voisin de la famille du maire de Paris, Bertrand Delanoe: Il 'est vrai que tout près, sur la corniche qui domine la mer, le maire de Paris possède une belle villa, entourée d'un jardin luxuriant, pas vraiment le modeste cabanon qu'il prétend avoir construit à Bizerte."Nous nous connaisons depuis toujours, c'est un ami".

Et de souligner que Delanoé, malgré Ben Ali, a eu le cran de baptiser une place à Paris du nom de Bourguiba "Quoiqu'il ait fait, Bourguiba était un grand homme, un leader, un chef". Et. d'expliquer aussi qu'il y a deux ans, le président de la Ligue des droits de l'homme, monsieur Trifi, lui avait annoncé que Delanoé était prèt à lui rendre visite publiquement pour le soutenir, mais qu'il en avait été empèché par l'Ambassade de France. L'explication n'est pas totalement convaincante, mais le débat avec lui serait mal venu, déplacé. Inutile de rappeler que la majorité du comité de sauvegarde de la Révolution de Byzerte a chassé le maire de Paris de leur réunion, un dimache matin de février dernier. La plupart lui reprochent en effet ne pas avoir soutenu leur mouvement avant le départ de Ben Ali.

A l'heure du déjeuner, toujours à Byzerte, j'avais eu la chance de passer un moment passionnant avec une avocate de Bizerte, Maitre Raja Dali, qui fait elle aussi partie de cette armée de l'ombre qui, en Tunisie, a résisté plus qu'on ne lepense.

Ceet avocate valeureuse s'est ainsi battue dès 1989 en faveur des islamistes emprisonnés et torturés. Et à l'époque, ses amis de la Ligue des droits de l'homme la traitaient volontiers de réactionnaire. On oublie trop à quel point la gauche tunisienne (comme la gauche française, n'est ce pas monsieur Delanoé) a soutenu la violence de Ben Ali contre ses opposants.

Et ce qu'elle raconte de l'acharnemetn du pouvoir tunisien est hallucinant. Ainsi cette épouse d'un militant islamiste emprisonné qui, pour nourrir ssa famille, fait appel à la générosité de son frère. Et bien, ce dernier est aussi mis en détention pour soutien à une association de malfaiteurs. La pauvre dame tente de ventre des pâtes salées aux épiciers de son quartier. Immédiatement, les nervis du régime font le tour des magasins pour les menacer s'ils acceptent de travailler avec cette femme. L'épouse de l'islamiste tente alors de vendre sur le marché des petites chaises fabriquées par un menuisier. Ce dernier est convoqué au poste et tabassé. Le régime de Ben Ali persécutait non seulement les militants islamistes, violents ou non, mais aussi leurs familles, leurs proches.

Pour avoir participé au mouvement socialiste progressiste de Chebbi jusqu'en 1994, cette avocate sera constamment surveillée, ses enfants privés de passeport pendant des mois et ses projets immobiliers bloqués par des ouzases des maires RCD. Jusqu'au jour où le gouverneur l'appelle au téléphone pour lui proposer un poste de député, afin d'acheter son ralliemetn. Ce qu'elle refusa évidemment. "Delanoé connait tout le monde ici, son frère habite dans notre ville. Pourqoui n'a-t-il rien dit avant le vendredi où Ben Ali a fui la Tunisie?".

Le restaurant de poisson où nous déjeunons avec Maitre Dali, face à la rade de Byzerte, "l'Alizé", est tenu par une merveilleuse tunisienne, qui, elle aussi a subi l'arbitraire de la famille règnante. Il y a un peu plus d'un an, lorsqu'elle veut ouvrir son restaurant, la Préfecture lui fait savoir qu'elle n'aura pas sa licence pour vendre de l'alcool. A moins, lui font savoir des émissaires de la famille Trabelsi, qu'elle accepte qu'un rejeton du clan ne prenne 40 pour cent  dans son capital. Ce qu'elle refusa... Et heuresement, les événements de janvier lui ont permis d'ouvrir enfin son superbe établissement.
Un jour, il faudra analyser le clan Trabelsi sur un plan psychanalitique. Ces gens là avaient tout, mais étaient possédés par l'irrésistible envie de mettre la main sur le  jouet de leurs voisins. Des rapaces, des kleptomanes.

 Une des soeurs de Leila vait résumé la philosophie du clan: "Mais de quel droit ils critiquent Leila et Zine puisque le pays leur appartient".