mercredi 2 mars 2011

Une révolution, mais dans la légalité

Ce qui surprend toujours chez les Tunisiens, c'est leur obsession de la règle de droit. Même les passe droits  et autres favoritismes du  régime maffieux de "notre ami Ben Ali" étaient imposés un cadre pseudo légal. Sous le rêgne du président déchu, la loi était tordue, instrumentalisée et appliquée généralement par une magistrature aux ordres. Mais le régime opposait toujours une pseudo rêgle de droit au citoyen.

Ce légalisme remonte aux origines de la République tunisienne au XIX eme siècle. La Tunisie est le premier pays arabe à avoir édicté une constitution. "Le syndrome autoritaire" du pouvoir tunisien, pour reprendre l'expression de l'excellent livre des universitaires Geisser et Camau, sa toujours avancé masqué, protégé un cadre constitutionnel et réglementaire.

Mercredi matin, une scène extravagante a eu lieu au Palais de Justice de Tunis. Dès neuf heures, devant les grilles du Tribunal, où des banderolles à la gloire de la Révolution, ont été suspendues, l'atmosphère était électrique. En effet, une audience en référé était prévue, à la demande de l'avocat du ministre de l'Intérieur, surnommé affectueusement par la population "monsieur propre", pour demander la dissolution du Rassemblement Constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali où étaient inscrits les plus fidèles du régime,mais aussi des milliers de tunisiens désireux simplement parfois d'obtenir un poste ou une subvention.

Le RCD, ou l'équivalent des Partis communistes de la belle époque, que Ben Ali, ambassadeur en Pologne entre 1980 et 1984, avait eu tout loisir d'observer. Sauf que, contrairement à l'Europe de l'Est,  le parti quasi unique de Ben Ali  avait pris le sigle de "constitutionnel et "démocratique", toujours l'obsession de la façade légaliste. 

La salle du tribunal, qui baignait dans une douce lumière printanière, était comble. Quelle surprise de voir plaidé la non constitutionnalité de la requête par deux avocates déterminées, genre "Régentes", un sourire narquois aux lèvres et représentant le RCD. Les élections truquées? Ce n'était pas le RCD. Les tires dans la foule? C'était le gouvernement de Ben Ali qui en avait décidé ainsi, pas le Parti. Sous les quolibets, parfois, ces deux avocates n'ont pas hésité à apostropher leur confrère, qui représentait le ministre de l'Intérieur: 
-"Mais vous savez que cela ne se fait pas, pendant une audience, de boire un verre d'eau"
-"Taisez vous, maitre, tranche le Président du Tribunal, je suis le seul maitre à bord". 

A coté de moi, un avocat qui se revendique du RCD et qui m'a reconnu comme le co auteur de Notre ami Ben Ali et de la régente de Carthage me traduit aimablement les propos des uns et des autres. "Elles ont du cran, les dux qui défendent le RCD, moi, je n'ai pas eu ce courage". Mais lorque le représentant du ministre de l'Intérieur explique que "le RCD a cloué la République" et qu'il faut dissoudre ce mouvement qui ne comprend plus "que tois aou quatre nazes", il s'emporte un peu: "Ce ministre de l'Intérieur qui s'est fait voler son portable et son manteau à l'intérieur même du Ministère dans son bureau ferait mieux de se faire discret. Heureusement que le ridicule ne tue pas". 

Quelques instants plus tard, un autre avocat prend la parole, qui prétend représenter lui aussi le RCD!!! Mon nouvel ami benaliste m'explique: "Il y a une scission chez nous". 

Les élites politiques et judiciaires tunisiennes revendiquent désormais un régime parlementaire. L'annonce devrait être faite, demain, par le Président intérimaire, qui prend enfin la parole, de la convocation d'une assemblée constituante. Ce qui veut dire que l'Agora tunisienne va se poursuivre encore pendant des semaines, où des arguties juridiques et constitutionnelles vont être échangées par les quelque cinquante partis que compte aujourd'hui la Tunisie (pas tous légalisés encore, même si le mouvement islamiste Nahda vient de l'être). Sans parler des innombrables représentants de la société civile ou des diverses tendances de l'UGTT, de la Ligue ou du barreau.

Légalisme, quand tu nous tiens!